Lorsqu’on observe le manuscrit autographe des Contes d’Hoffmann, différentes écritures apparaissent. Celle d’Offenbach pour la colonne vertébrale que sont les parties vocales et l’accompagnement piano, celle de copistes venus mettre en ordre la partition, dont la main de Jacques Auguste Offenbach, le fils du maître, puis l’écriture d’Ernest Guiraud, l’orchestrateur, a ce qui touche l’ensemble des parties instrumentales. Cela concerne la version « opéra-comique » tel qu’Offenbach l’a laissée à sa mort. Et puis il y a les différentes « scènes » ces fameux récitatifs chantés que Guiraud aurait ajoutées au lendemain de la création parisienne, afin que l’œuvre puisse être jouée dans le monde entier en remplaçant les dialogues parlés par de la musique. Depuis que je travaille sur cet opera fantastique, une chose m’a toujours intrigué : l’écriture de ces récitatifs attribués à Guiraud n’est pas la même que celle de l’orchestration. Même si elle paraît parfois assez proche. C’est d’ailleurs à cause de cela que je me suis longtemps posé des questions sur le vrai auteur de l’instrumentation. Puisque les récitatifs étaient officiellement de Guiraud, à qui appartenait cette autre écriture. A un moment j’aurais pensé à Auguste Bazille, musicien assistant Offenbach et à qui ce dernier fait référence dans sa correspondance lors de la gestation de l’opéra. Mais c’était en fait prendre le problème à l’envers. Après avoir pu comparer la calligraphie de Guiraud et celle de l’orchestration des Contes d’Hoffmann, il n’y a pas de doute : Guiraud en est bien l’auteur. Mais alors qui a composé les récitatifs, si réussis d’ailleurs, contrairement à ceux plutôt décriés que Guiraud avait commis pour Carmen quelques années auparavant ? J’avais bien une idée, une piste à explorer, mais j’avais besoin de la preuve d’un expert. Et bien comme le confirme l’expertise graphologique, c’est l’écriture de Léo Delibes, le père de Lakmé, qui apparaît dans les scènes chantées insérées dans la partition d’Offenbach. A la mort d’Offenbach et suivant la demande de sa veuve, il ne s’est donc pas contenté d’orchestrer et compléter deux autres ouvrages posthumes du maître, Moucheron et Belle Lurette, il semble bien qu’il soit aussi le véritable auteur des fameux récitatifs des Contes d’Hoffmann. Ami de la famille Offenbach, il n’eut pas toujours des propos très tendres pour le directeur des Bouffes-Parisiens… Mais s’il avait une dette morale envers ce dernier, on peut dire qu’il s’en est finalement bien acquitté.