Ba-Ta-Clan - Montpellier 2016

Forum Opéra - 15 juillet 2016

Un hymne à la vie       Ba-Ta-Clan - Montpellier (Festival) Par Yvan Beuvard | ven 15 Juillet 2016 | 

Si le Ba-Ta-Clan évoque les funestes attentats du 13 novembre 2015, sait-on que la salle où les victimes furent prises en otage par les djihadistes tire son nom d’une « chinoiserie » d’Offenbach, dont le succès - 160 ans auparavant – ne s’est jamais démenti ? Sa programmation par le Festival Radio France Montpellier Région, bien que retenue avant les tueries, est un hommage aux victimes de la barbarie et un hymne à la vie au coeur d'une actualité toujours tragique.

Le premier livret jamais écrit par Ludovic Halévy est une réussite, non seulement par sa verve loufoque, mais par son sens dramatique et les situations qu’il offre au musicien. Quatre faux Chinois - l’empereur (régnant sur 47 sujets), que veut destituer le chef de sa garde, un mandarin, une mandarine - découvriront qu’ils sont français. Au terme de l'ouvrage, désopilant, chacun exaucera son voeu, le conspirateur accédant au trône et les trois autres regagnant la mère patrie. C’est pour Offenbach l’occasion d’extraordinaires parodies, en particulier un duo italo-chinois,  que n’eut pas renié Rossini, et la citation du choral des Huguenots de Meyerbeer dans le finale. 

La « version de concert » se traduit certes par l’absence de tout décor, costume ou accessoire, encore qu’y participe la spectaculaire grosse caisse, dont use Jean-Christophe Keck avec une saine énergie. Mais les mimiques, les gestes, les déplacements de chacun sont suffisamment éloquents pour que le public comprenne le chinois de fantaisie du librettiste et partage le bonheur des interprètes. La distribution est idéale où le talent le dispute à la jeunesse et à l’engagement : chacun des quatre solistes se révèle excellent chanteur mais aussi comédien. La diction est exemplaire, servie par un chant de haut vol. Stéphanie Varnerin (Fé-an-nich-ton) se distingue par ses traits dès le premier quatuor, par sa romance, mais surtout par ses envolées dans le bataclan. Les ténors, Rémy Mathieu et Enguerrand de Hys, ne sont pas en reste, chacun d’eux ayant son duo, avec une mention spéciale pour la savoureuse imitation de la trompette du finale. Enfin, Jean-Gabriel Saint-Martin nous offre un conspirateur de luxe, voix sonore, profonde, autoritaire comme il se doit (« Morto, morto, infamio»). Le piano d’Anne Pagès-Boisset, lui aussi inspiré par la verve de l’ouvrage, nous réjouit. Le musicien et musicologue français le plus épris d’Offenbach, dont il réalise patiemment l’édition critique, Jean-Christophe Keck, fait plus que diriger, il est l’animateur idéal de cette musique. 

Le Monde - 15 juillet 2016

A Montpellier, Offenbach rallie le public au « Ba-Ta-Clan »

LE MONDE | 15.07.2016 à 10h01 • Mis à jour le 15.07.2016 à 15h05 | Par Marie-Aude Roux (Montpellier, envoyée spéciale)

 

Pour l’édition 2016 du Festival,  Anne Pages-Boisset est invitée comme chef de chant pour Ba-ta-clan de J. Offenbach et en assure au piano les représentations à Montpellier et Perpignan. Les attentats du 13 novembre 2015 n’avaient pas été perpétrés lorsque le Festival de Radio France Montpellier a choisi Ba-Ta-Clan, une innocente chinoiserie musicale d’Offenbach dont le succès, en 1855, fut tel qu’il devait baptiser la salle de concerts parisienne construite neuf ans plus tard. Mais il était impossible d’ignorer ce terrible événement : Ba-Ta-Clan a donc été dédié à toutes les victimes du terrorisme. D’un goût plutôt douteux, en revanche, le glissement sémantique qui insère l’ouvrage au sein de la thématique du festival Voyage d’Orient : la pochade exotique du XIXe siècle porte désormais le nom de la peur – « cet Orient qui menace ».

Mais revenons au pays de Ché-i-no-or et au palais de l’Empereur Fé-ni-han, que la sédition de son chef de la garde, Ko-ko-ri-ko, inquiète d’autant plus qu’il ne peut s’empêcher lui-même d’entonner son irrésistible chant des insurgés, l’Hymne du Ba-Ta-Clan. Une affaire suffisamment sérieuse pour que la princesse Fé-an-nich-ton et le mandarin Ké-ki-ka-ko songent à fuir le pays. Le spécialiste mondial d’Offenbach, Jean-Christophe Keck, qui a ­concocté cette réhabilitation, rappelle que Ba-Ta-Clan se répandit en Europe, générant même une version viennoise délocalisée au Japon et n’échoua qu’à Londres (l’Offenbaxit était né).

Pour cette version avec piano, le musicologue et chef d’orchestre s’est entouré d’Anne Pagès-Boisset et de quatre jeunes chanteurs français prometteurs – la soprano Stéphanie Varnerin, les ténors Rémy Mathieu et Enguerrand de Hys, la basse Jean-Gabriel Saint-Martin. Forme enlevée, formule spirituelle, cette partition peuplée d’onomatopées aussi burlesques que réjouissantes se dote d’un texte non moins cocasse, qui fustige le pouvoir et met le gouvernement et l’opposition dans le même sac. Nos quatre Chinois se révéleront bien sûr français – nobliau en délicatesse, chanteuse légère, provincial natif de Brive-la-Gaillarde, Parigot de la rue Mouffetard.

Aisance des interprètes

La satire politique brocarde bien sûr le Second Empire et Napoléon III, la musique parodiant à l’envi duos d’opéra italien alla Bellini ou Donizetti, et grand chœur d’opéra à la française. Galvanisé par le comique du propos et l’aisance des interprètes, la salle s’est unanimement ralliée à l’Hymne du Ba-Ta-Clan, lequel a été trissé, tandis que tout le monde clappait dans les mains : « Ba-ta-clan, Ra-ta-plan, Fé-ni-han, Fich’-ton-camp ».